Éditorial de Valérie Toranian
dans la Revue des Deux Mondes du 18 nov 2020
Le monde entier les a laissés tomber
En plus des drones qui ont changé la nature du conflit, les Arméniens ont affronté une coalition pilotée par la « deuxième armée » de l’Otan, celle de la Turquie, avec les troupes et les forces spéciales azerbaïdjanaises, les mercenaires djihadistes à la solde d’Erdogan, la technologie israélienne et canadienne (celle des drones kamikazes). Une guerre sophistiquée et extrêmement coûteuse à laquelle ils n’étaient pas préparés. Une guerre barbare dans laquelle les Azéris mutilent les corps et égorgent même les cadavres. Et le monde entier les a laissés tomber.
Un prêtre-héros nommé Hovhanes Ghazaryan
Le monastère de Dadivank est un lieu sacré de l’Artsakh. Il fut bâti entre le IXe et le XIIIe siècle sur la tombe de Saint Thaddée qui évangélisa l’est de l’Arménie au Ier siècle. Son curé n’est pas un prêtre, c’est un héros. Hovhanes Ghazaryan a juré, quand les combats faisaient encore rage, qu’il ne quitterait jamais son monastère. Il a le corps puissant, la voix qui tonne. Victor Hugo en aurait fait un personnage de roman. Sur la façade de son église, il nous montre les khatchkars, croix taillées et ciselées dans la pierre, symboles du christianisme arménien. « Comment les Turcs peuvent-ils dire que cette terre est la leur ? Notre présence est inscrite dans la pierre depuis des siècles ».

Quand les Arméniens se hâtent de célébrer les vivants
Ici le sacré est évident et inexplicable. On y mêle indifféremment la religion, la tradition, la coutume, les grands hommes, les figures héroïques, la musique, la cuisine, les festins interminables, l’alcool. Et bien sûr les toasts : la mort surgit si vite qu’il faut se hâter de célébrer les vivants.